5. Des conseils pratiques pour les entreprises

Les objectifs peuvent être comparés à un relèvement au compas grâce auquel un navire se dirige… Sans relèvement au compas, un navire ne pourrait ni trouver son port ni estimer le temps nécessaire pour y arriver.

Peter Drucker

5.1 Vers une entreprise Future-Fit

Que devraient faire les entreprises?

De nombreux types d’entreprises – les studios de cinéma, les maisons de couture et les vendeurs de glaces, pour ne citer que quelques exemples – ne tentent pas de résoudre les plus grands défis de la société. Cela ne les rend pas pour autant ‘mauvaises’ ou incompatibles avec une société Future-Fit: beaucoup pourraient dire que la vie serait ennuyeuse sans grands films, beaux vêtements et friandises de temps en temps.

D’autres entreprises ont des modèles économiques plus clairement alignés sur la satisfaction des besoins sociétaux – comme les producteurs alimentaires ou pharmaceutiques – mais cela ne signifie pas qu’ils sont intrinsèquement ‘bons’. Même si leurs produits sont bienfaisants, ces entreprises peuvent s’appuyer sur de nombreuses activités qui aggravent les problèmes systémiques.

Ce qui compte du point de vue du système, c’est que chaque entreprise ne fasse rien qui puisse compromettre la transition de la société:

Une entreprise Future-Fit ne compromet en rien – et idéalement augmente – la possibilité que les humains et les autres formes de vie s’épanouissent indéfiniment sur Terre.

Élaborer des consignes pratiques.

Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, il s’agit d’atteindre un ensemble de seuils environnementaux et sociaux qui à travers le concept du triple bilan (‘Triple Bottom Line’) constituent les seuils de durabilité extra-financier pour la création de valeur. Dans ce chapitre, nous décrivons exactement à quoi cela ressemble dans un contexte entrepreneurial.

Tout outil doit être à la fois utile et pratique, et le Future-Fit Business Benchmark ne fait pas exception. Pour traduire les exigences de la société en consignes pratiques pour les entreprises, il était nécessaire de répondre à deux questions:

  • L’exigence envers les entreprises: De quoi ont besoin les dirigeants d’entreprise et les investisseurs pour leur donner les moyens de relever le défi?
  • Le rôle et la portée des entreprises: que peut – et que doit – faire chaque entreprise, au sein et au-delà de sa chaîne de valeurs, pour assumer ses responsabilités et contribuer à la réalisation d’une société Future-Fit?

Chacune de ces questions est adressée ci-dessous.

5.2 L’exigence envers les entreprises

En théorie, n’importe quelle entreprise pourrait prendre en compte les exigences d’une société Future-Fit présentées ci-dessus et en déduire les changements nécessaires à son activité. En pratique, seules les entreprises les plus progressistes sont susceptibles d’investir les efforts nécessaires pour déterminer comment y parvenir. De plus, il est fort probable que deux entreprises, même au sein du même secteur, aient une vision complètement différente de leurs ambitions et de leurs progrès.

Ce n’est pas l’idéal : nous avons un objectif commun en tête – une société Future-Fit – alors pourquoi ne pas suivre les engagements et les progrès de la même manière? En fait, il y a quatre bonnes raisons de le faire:

La pression des pairs favorise le progrès.

Même si chaque entreprise doit rester concentrée sur sa destination, les entreprises chercheront toujours à comprendre ce que font leurs concurrents – et pourront ainsi être incitées à améliorer leur propre performance. Si tout le monde considère les progrès de la même manière, il est plus facile pour une entreprise de suivre ses performances par rapport à ses pairs dans la poursuite des objectifs finaux souhaités.

Les investisseurs veulent identifier les véritables leaders.

Le manque de comparabilité des objectifs environnementaux et sociaux des entreprises rend difficile, même pour l’investisseur le plus diligent, d’identifier les entreprises qui font le plus pour se préparer aux risques systémiques et ouvrir de nouvelles opportunités de croissance. Un ensemble concis, comparable et consolidé de mesures, qui encadrent les actions à court terme dans le contexte d’ambitions crédibles à long terme, permettrait de résoudre ce problème.

La collaboration nécessite une vision et des objectifs partagés.

Des partenariats efficaces seront essentiels pour que toute entreprise – et à plus forte raison l’ensemble de la société – puisse devenir Future-Fit. Un ensemble cohérent d’objectifs peut aider toutes les organisations au sein d’un réseau de valeur à déterminer comment collaborer pour améliorer leur capacité mutuelle à devenir Future-Fit.

Une approche holistique est nécessaire pour éviter des arbitrages aux conséquences imprévues.

Comme le décrit la section sur le rôle de chaque système social, il existe de nombreuses façons pour une entreprise d’avoir un impact positif, et tous les efforts de ce type doivent être encouragés. Cela dit, aucune tentative de ‘faire le bien’ ne peut justifier l’absence de progrès nécessaire ailleurs, car les impacts positifs et négatifs ne s’annulent presque jamais.5 Un cadre unifié, qui englobe toutes les contributions positives et négatives possibles envers une société Future-Fit, peut aider à garantir que même l’entreprise la plus appliquée ne perde pas de vue la situation dans son ensemble, et prenne ses décisions en connaissance de cause.

Quels que soient les impacts positifs créés par une entreprise, elle doit être Future-Fit à part entière avant de pouvoir prétendre avec certitude d’avoir créé de la valeur pour le système.

Fournir aux dirigeants d’entreprise et aux investisseurs ce dont ils ont besoin.

Les considérations ci-dessus ont guidé la phase pivot du développement du Benchmark: traduire les concepts présentés jusqu’à présent en un ensemble de seuils de durabilité (‘Break-Even Goals’), d’objectifs de contribution positives (‘Positives Pursuits’) et d’indicateurs de performance complémentaires (voir la Figure 5.1).

La section suivante décrit la méthodologie utilisée pour développer le Benchmark.

Figure 5.1: Construction du Future-Fit Business Benchmark.

5.3 Le rôle et la portée des entreprises

Ce que toute entreprise doit faire et ce que toute entreprise peut faire.

Les conditions du système CSDD présentées ci-dessus offrent une base solide et scientifique pour comprendre ce que chaque entreprise doit faire, et ce que toute entreprise peut faire pour aller au-delà.

Une entreprise atteindra ses seuils de durabilité extra-financier – et sera donc Future-Fit – uniquement lorsque son existence ne contribue en aucune manière aux violations des conditions systémiques, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses propres opérations.

En parallèle, et avant même de devenir elle-même Future-Fit, une entreprise peut produire des impacts positifs qui accélèrent la transition de la société vers un avenir Future-Fit, soit en contribuant à la réparation des violations passées des conditions systémiques, soit en aidant les autres à éviter toute violation future.

L’étendue de l’influence des entreprises.

Pour comprendre ce que signifie de ne pas contribuer aux violations des conditions systémiques pour une entreprise, il est essentiel de clarifier jusqu’où une entreprise peut influencer son entourage.
Chaque entreprise n’est qu’un acteur dans un réseau de valeur complexe et dynamique, où elle influence et est influencée par de nombreux autres systèmes sociaux. Nous pouvons segmenter cette chaîne de valeur en quatre domaines:

  • Fournisseurs: Cela englobe toutes les parties prenantes impliquées dans la production des intrants dont dépend l’entreprise, ainsi que toute personne affectée par ces activités, y compris les travailleurs impliqués dans les chaînes d’approvisionnement et les communautés impactées par celles-ci.
  • Opérations: Englobe les activités de l’entreprise elle-même, y compris les communautés et les travailleurs qui les soutiennent.
  • Produits: Englobe les biens et services générateurs de revenus offerts par une entreprise, ainsi que les personnes, entreprises ou autres acteurs qui en bénéficient ou sont affectés par celles-ci.
  • Société: Comprend les autres organisations, les infrastructures physiques et les institutions sociétales partagées que l’entreprise peut influencer et/ou par lesquelles elle peut être influencée.

Cette segmentation de la chaîne de valeur sert de base pour déterminer deux choses. Premièrement, dans quelle mesure une entreprise doit être tenue responsable des violations des conditions du système. Deuxièmement, dans quelle mesure une entreprise peut chercher à avoir un impact positif – et être reconnue pour cela – en inversant les effets des violations passées ou en aidant les autres à éviter de violations a l’avenir.

Ces deux dimensions complémentaires d’une entreprise qui cherche à devenir Future-Fit – la responsabilité d’éliminer tout impact négatif et la reconnaissance des impacts positifs – sont résumés dans Figure 5.2, et sont décrits en détail ci-dessous.

Figure 5.2: Mise en correspondance des exigences pour la société et du rôle des entreprises et de leur portée, afin d’identifier ce qu’une entreprise peut et doit faire pour respecter les conditions systémiques.

Responsabilité des entreprises face aux impacts négatifs sur l’ensemble de la chaîne de valeur

Rares sont ceux qui contesteraient l’idée selon laquelle une entreprise est entièrement responsable des impacts sur lesquels elle a un contrôle direct, comme ceux liés à ses opérations courantes et à la conception de ses produits. Cependant, d’un point de vue systémique, une entreprise est également mutuellement responsable de certains impacts qui échappent à son contrôle direct:

Une entreprise est mutuellement responsable de tout impact au-delà de ses opérations directes, dans la mesure où cet impact résulte de l’existence de l’entreprise.

Pour identifier le seuil de durabilité que chaque entreprise doit atteindre, cette définition de la responsabilité mutuelle doit être appliquée aux quatre domaines de la chaîne de valeur.

Seuil de durabillité en lien avec les fournisseurs.

Aucune entreprise ne peut être Future-Fit si sa réussite repose sur l’utilisation d’intrants qui entraînent eux-mêmes des violations des conditions du système. La responsabilité mutuelle consiste donc ici à ne pas externaliser les violations dans les chaînes d’approvisionnement de l’entreprise. Les exigences exactes varient comme suit:

  • Fonctions essentielles externalisées: lorsqu’une entreprise externalise une activité qu’elle devrait autrement réaliser elle-même (par exemple, le support client, la fabrication, la logistique), elle externalise également tous les impacts négatifs associés à cette activité. Par conséquent, une entreprise est mutuellement responsable de prévenir ou de corriger toutes les violations des conditions systèmiques causées par l’externalisation de ses fonctions.

  • Intrants de produits: Aucune entreprise ne peut produire des biens physiques – ou offrir des services dont la livraison implique la consommation de ces biens – sans s’appuyer sur des matières premières, des pièces manufacturées, etc. Par conséquent, la responsabilité mutuelle exige qu’une entreprise s’efforce d’éviter ou de corriger tous les impacts allant de l’extraction à la mise à disposition (cradle-to-gate) de ses intrants.

  • Biens et dépenses auxiliaires: cela comprend trois types d’achats.

  • Les services utilisés ponctuellement (par exemple, les services de conseil, les taxis, les vols et les hôtels pour les voyages d’affaires).

  • Biens de consommation courants (par exemple, les fournitures de bureau, les produits de nettoyage).

  • Actifs immobilisés acquis ou loués (par exemple, les bâtiments, le matériel informatique, les machines, le mobilier).

Dans ces cas, l’entreprise a souvent le choix entre plusieurs fournisseurs, mais son influence sur l’un d’entre eux est susceptible d’être négligeable. La responsabilité mutuelle consiste alors à choisir la meilleure option disponible.

De nos jours, les chaînes d’approvisionnement mondiales sont souvent complexes et opaques. La traçabilité des intrants et de leurs impacts est donc un défi majeur. Toutefois, l’ignorance n’est pas une excuse, et une entreprise est pleinement responsable de tout mettre en œuvre via ses pratiques d’achat pour anticiper, éviter et corriger les points sensibles de sa chaîne d’approvisionnement.

Seuil de durabilité en lien avec les opérations.

Une entreprise est entièrement responsable de l’élimination des impacts environnementaux et sociaux négatifs causés par ses propres activités, y compris les actions de ses employés. Il n’est pas possible de contrôler complètement les actions de chaque employé, mais une entreprise doit faire tout ce qu’elle peut pour anticiper et prévenir les risques, et agir efficacement lorsqu’un problème survient.

Seuil de durabilité en lien avec les produits.

Une entreprise doit tout mettre en œuvre pour s’assurer que ses biens et services ne nuisent ni aux personnes ni à l’environnement. Cependant, elle ne peut pas contrôler entièrement l’usage qu’en font ses clients.

L’entreprise est donc mutuellement responsable des impacts inévitables ou probables et prévisibles liés à l’utilisation et au traitement en fin de vie de ses produits.

Par exemple, si une entreprise vend une voiture à moteur à combustion interne, comme le conducteur n’a pas le choix de carburant, elle est donc mutuellement responsable des émissions de gaz à effet de serre que la voiture émet pendant son utilisation. Si une entreprise vend une voiture électrique, le conducteur est libre d’utiliser des sources d’électricité renouvelables pour recharger la batterie. Dans ce cas, l’entreprise n’est pas mutuellement responsable des émissions de gaz à effet de serre qui se produisent (pendant la production d’électricité) si le client utilise une source d’électricité émettrice de carbone.

Seuil de durabilité en lien avec la société.

Une entreprise doit se comporter de manière éthique et ne doit en aucun cas – que ce soit par des actions (comme le lobbying contre une législation progressiste) ou par l’inaction (comme le fait de ne pas payer suffisamment d’impôts) – porter atteinte à l’intégrité des institutions sociétales et des infrastructures physiques dont nous dépendons tous.

Une entreprise est également mutuellement responsable de l’impact de ses actifs financiers.

Chaque organisation est limitée dans ses actions par son accès au capital financier, et les entreprises ont le pouvoir de fournir cet accès, notamment sous forme d’investissements ou de prêts. Toute entreprise doit donc s’assurer qu’elle ne soutient pas financièrement une activité dont le succès dépend de violations des conditions systémiques (par exemple, en fournissant un financement de projet pour la construction de centrales électriques au charbon).

Reconnaissance des entreprises pour leurs impacts positifs sur l’ensemble de la chaîne de valeur

Rappelons qu’une entreprise peut contribuer positivement de deux manières: soit en aidant à corriger les violations passées des conditions du système, soit en permettant à d’ autres acteurs d’éviter des violations futures.

Encore une fois, nous examinons les quatre domaines de la chaîne de valeur l’un après l’autre.

Contributions positives en lien avec les fournisseurs.

Comme expliqué ci-dessus, une entreprise ne peut être considérée comme Future-Fit par rapport à ses fournisseurs tant qu’elle n’a pas efficacement évité ou corrigé tous les impacts négatifs qui se produisent au sein de ses chaînes d’approvisionnement.

Atteindre ce niveau de performance – en particulier pour les produits intrant dans des chaînes d’approvisionnement complexes et à plusieurs niveaux – peut nécessiter beaucoup de temps et d’efforts. Cependant, il y a une grande différence entre attendre que la chaîne d’approvisionnement s’améliore d’elle-même et agir activement pour l’améliorer. Par conséquent, toute action qu’une entreprise entreprend pour permettre à un fournisseur d’atteindre son seuil de durabilité constitue une contribution positive.

Par exemple, une entreprise qui s’approvisionne en intrants agricoles dans une région souffrant de stress hydrique peut proposer une assistance financière et/ou une expertise pour aider les fournisseurs à installer une technologie d’irrigation goutte à goutte, réduisant ainsi significativement l’empreinte hydrique de l’intrant.

Une entreprise peut également générer des contributions positives en aidant les fournisseurs à inverser les impacts environnementaux passés (par exemple en restaurant des forêts précédemment abattues) ou en augmentant les opportunités économiques parmi les groupes mal desservis (par exemple en permettant l’accès aux marchés des matières premières pour les petits exploitants agricoles dans les zones reculées).

Contributions positives en lien avec les opérations.

Une entreprise a un contrôle total sur ses propres activités opérationnelles, ce qui signifie que la réduction progressive de ses propres impacts négatifs vers le seuil de durabilité ne peut pas être considérée comme une poursuite positive.

Toutefois, une entreprise peut obtenir des résultats positifs grâce à ses propres activités si elle dépasse le seuil de durabilité et commence à inverser les impacts environnementaux (par exemple en produisant plus d’énergie renouvelable que nécessaire et en injectant le surplus dans le réseau), ou si elle augmente l’inclusion sociale en cherchant activement à employer des personnes issues de groupes marginalisés.

Contributions positives en lien avec les produits.

Une entreprise peut générer un impact positif en permettant à ses clients d’éliminer leurs propres impacts négatifs (par exemple en réduisant considérablement leurs besoins en combustibles fossiles ou en eau douce) – ou de générer eux-mêmes un impact positif.

Il est toutefois difficile d’évaluer avec certitude – ou de manière crédible – l’impact positif d’un produit, car les avantages découlant de son utilisation dépendent des autres options disponibles. Prenons par exemple un VUS très économe, mais à essence. Si un client devait acheter un tel véhicule pour remplacer une voiture compacte encore plus économe, le changement net en termes d’émissions de gaz à effet de serre serait négatif.

Les arguments en faveur de produits qui éliminent complètement un impact négatif pourraient être plus convaincants, par exemple si le nouveau VUS était alimenté uniquement par l’électricité. Mais même dans ce scénario, ne faudrait-il pas considérer l’option des transports en commun, qui pourrait répondre au besoin du client tout en réduisant sa consommation énergétique?

Il n’existe pas de réponse simple – et même l’entreprise la mieux intentionnée peut finir par être accusée de ‘greenwashing’ si ses affirmations d’impact positif sont exagérées.

Il existe cependant deux moyens pour accroître la probabilité qu’un produit ait réellement un impact positif mesurable. Le premier consiste à proposer des biens ou des services dont l’utilisation inverse effectivement les impacts environnementaux passés (par exemple, une technologie permettant de nettoyer les rivières polluées). Le second consiste à permettre aux groupes désavantagés de satisfaire leurs besoins fondamentaux (par exemple, en fournissant une énergie propre ou des soins de santé abordables aux populations rurales pauvres), surmontant ainsi les obstacles à l’inclusion sociale et au bien-être.

Contributions positives en lien avec la société.

Comme nous l’avons vu dans le contexte économique, il n’existe pas de solution magique pour réorienter notre système économique vers une économie Future-Fit Mais un nouveau paradigme de croissance peut émerger si nous travaillons ensemble à transformer les normes sociales, la gouvernance mondiale, les infrastructures partagées et les mécanismes du marché.

Toute entreprise peut contribuer activement à ce changement, en mettant à profit son influence d’entreprise et/ou de marque, ses compétences de base et son savoir-faire technique, et en choisissant comment elle investit son capital financier.

5.4 Formulation des seuils de durabilité, des objectifs de contribution positives et des indicateurs

5.4.1 Seuils de Durabilité (‘Break-Even Goals’)

Les seuils de durabilité ont été formulés pour donner aux dirigeants d’entreprise une destination claire à atteindre, de telle sorte que:

  • Chaque seuil est exprimé sous forme d’une phrase unique, dont le sens peut être compris par les dirigeants d’entreprise, les investisseurs et les autres parties prenantes clés sans longue explication.
  • Chaque seuil représente le niveau minimum de performance à viser dans une partie de la chaîne de valeur (par exemple, les produits, les opérations) et se rapporte à un problème spécifique (par exemple, les salaires, les déchets).
  • L’ensemble des seuils de durabilité individuels identifie le seuil de durabilité sociale et environnementale que chaque entreprise doit atteindre.

Pour formuler ces seuils, la première étape consistait à examiner toutes les manières par lesquelles une entreprise pouvait transgresser les conditions systémiques et ainsi ralentir le progrès vers la réalisation des propriétés d’une société Future-Fit (Figure 4.2).

Ensuite, il a fallu identifier les comportements que les entreprises devraient adopter pour éviter de telles violations.

Enfin, ces comportements ont été traduits en un ensemble de seuils de durabilité clairs et concis. La Figure 5.3 résume ce processus et les détails de la cartographie sont présentés à l’annexe 2. Les seuils eux-mêmes sont présentés dans le chapitre suivant.

Figure 5.3: Processus d’élaboration des seuils de durabilité Future-Fit.

5.4.2 Indicateurs de seuil de durabilité

Les dirigeants d’entreprise doivent suivre leurs performances et prioriser leurs actions là où elles sont les plus nécessaires. Par ailleurs, il est essentiel que les investisseurs ainsi que les autres parties prenantes puissent effectuer une comparaison pertinente entre les entreprises afin d’identifier celles qui sont en tête dans la transition vers une société Future-Fit. Nous avons donc besoin d’une méthode cohérente pour évaluer la progression vers chaque seuil de durabilité.

Critères de conception des indicateurs.

Les critères de conception suivants ont été utilisés pour l’élaboration des indicateurs:

Calculable…

  • Toutes les données nécessaires pour le calcul d’un indicateur doivent être à la portée de l’entreprise, même si certaines ne sont pas encore collectées.
  • Chaque indicateur doit pouvoir être calculé, même si une entreprise ne dispose pas de tous les détails concernant l’ensemble de ses impacts (par exemple, elle ne connaît pas la provenance d’un matériau acheté ou les émissions d’un site particulier). Les indicateurs doivent donc tenir compte des lacunes en matière d’information.
  • Un indicateur doit encourager une entreprise à combler ses lacunes en matière d’informations, sans jamais la pénaliser lorsqu’elle acquiert de nouvelles informations (par exemple, découvrir qu’un produit particulier a un impact négatif ne devrait pas améliorer le score de l’entreprise, mais il ne devrait pas non plus le réduire).

Comparables…

  • Chaque indicateur doit mesurer la performance de manière cohérente pour toute s les entreprises, indépendamment de leur taille, leur secteur ou leur localisation.

Complets…

  • Les indicateurs doivent couvrir l’ensemble du domaine d’action sous la responsabilité de l’entreprise, englobant toutes les activités pertinentes entreprises par ou au nom de l’entreprise, sur l’ensemble du réseau de valeur.

Concis…

  • Chaque indicateur doit refléter la performance dans le contexte de l’unité la plus pertinente par rapport au seuil visé (par exemple par produit ou par employé), pour aider l’entreprise à identifier où agir en priorité.
  • Chaque indicateur doit agréger les mesures par entité en une seule valeur (ou aussi peu que possible, si une seule valeur n’est pas significative) qui représente la progression globale de l’entreprise. En outre, la performance de chaque entité doit être pondérée en fonction de sa contribution globale à l’entreprise.
  • Aux niveaux micro (par entité) et macro (à l’échelle de l’entreprise dans son entièreté), il devrait être possible d’exprimer le progrès vers le seuil en question sous forme de pourcentage.

Crédibles…

  • Chaque indicateur doit s’appuyer sur des données scientifiques de pointe et refléter fidèlement ‘l’esprit’ du seuil qu’il vise à mesurer.
  • Chaque indicateur doit s’appuyer sur les meilleures références externes disponibles, telles que des normes indépendantes pour des secteurs spécifiques, dans la mesure où elles existent et correspondent au niveau de performance requis.
Evolution des indicateurs

Un premier ensemble d’indicateurs de seuils de durabilité a été présenté dans la version 1. Comme les seuils de durabilité, ceux-ci ont été progressivement affinés avec les premiers utilisateurs.

L’une des principales améliorations consiste en ce que chaque seuil est désormais accompagné d’indicateurs de progrès et de contexte. L’objectif n’est pas d’imposer aux entreprises encore plus d’éléments à mesurer, mais plutôt de les aider à mettre leurs progrès en perspective, à mieux comprendre dans quelle mesure elles optimisent l’utilisation de leurs ressources et quel est l’écart par rapport au seuil de durabilité.

Prenons par exemple l’objectif l’utilisation de l’eau est respectueuse de l’environnement et socialement équitable. Il comporte deux aspects, liés à la fois à la quantité et à la qualité. Tout d’abord, une entreprise doit réduire et éventuellement éliminer sa consommation d’eau provenant de régions soumises à un stress hydrique. Ensuite, elle doit veiller à ce que les rejets en cours d’eau ne dégradent pas la qualité du plan d’eau ou du sol récepteur et ne causent aucun autre dommage. Pour présenter une image complète, le seuil est accompagné de quatre indicateurs: deux indicateurs de progrès pour saisir en pourcentage la performance par rapport au seuil pour la consommation et le rejet, et des indicateurs de contexte mesurant la quantité totale d’eau consommée et rejetée respectivement.

Comme le précise le critère de conception concision, des indicateurs supplémentaires ne sont utilisés que s’ils contribuent à éclairer de meilleures décisions managériales.

Pour plus d’informations sur les indicateurs de seuil de durabilité, consultez les guides d’action.

5.4.3 Contributions positives

Les objectifs de contributions positives ont été formulés pour aider les dirigeants d’entreprise à contribuer activement au développement d’une société Future-Fit, de telle sorte que:

  • Chaque objectif de contribution positive est exprimé par une seule phrase, dont le sens peut être saisi par les dirigeants d’entreprise, les investisseurs et les autres parties prenantes clés sans longue explication.
  • Chaque objectif de contribution positive identifie une manière soit d’inverser les effets des impacts environnementaux ou sociaux négatifs survenus dans le passé, soit d’aider les autres à éviter de produire de tels impacts négatifs à l’avenir.
  • Chaque objectif de contribution positif se rapporte à un type de résultat attendu qui peut être réalisé sur l’ensemble de la chaîne de valeur à travers un large éventail d’actions possibles – depuis l’amélioration des performances des fournisseurs jusqu’à l’offre de produits à impacts positifs, en passant par le renforcement des capacités des marchés et des institutions pour évoluer vers une société Future-Fit.

Pour formuler ces objectifs de contributions positives, il fallait d’abord examiner comment une entreprise pouvait agir pour réparer les violations passées des conditions systémiques, ou aider les autres à éviter de violation futures – et ainsi accélérer le progrès vers la réalisation des propriétés d’une société Future-Fit (Figure 4.2).

L’étape suivante consistait à regrouper ces comportements en un ensemble clair et concis de résultats que l’entreprise peut chercher à réaliser. La Figure 5.4 résume ce processus et les détails de la cartographie sont disponibles à l’annexe 2.

Figure 5.4: Processus d’élaboration des objectifs de contributions positives Future-Fit.

5.4.4 Indicateurs de contributions positives

Il existe un nombre potentiellement infini de manière pour une entreprise de contribuer positivement. Par exemple, pour réaliser la contribution positive davantage de personnes soient en bonne santé et à l’abri des dangers en s’attaquant au problème du diabète, une entreprise pourrait réduire son impact dans les populations les plus pauvres du monde, en éduquant les gens sur les choix alimentaires sains, leur donnant accès à de l’insuline à un prix abordable ou en formant des professionnels de santé capable de détecter et traiter la maladie avant que les symptômes ne s’aggravent.

Cette diversité d’approches peut rendre difficile l’évaluation et la présentation de rapports sur deux projets de manière cohérente et comparable. Il est pourtant crucial de le faire, à la fois pour éclairer les décisions futures sur les projets et pour présenter les résultats aux investisseurs et aux autres parties prenantes de manière pertinente.

La nécessité de développer une manière commune pour décrire un impact a conduit à la formation du projet de gestion d’impact (Impact Management Project ou IMP) (voir encadré).

La Fondation Future-Fit contribue à l’IMP et notre approche d’évaluation des contribution s positives s’inspire largement de leurs travaux. Nous nous engageons à affiner nos consignes en fonction de cette initiative intersectorielle, à mesure qu’elle continue d’évoluer. Pour plus de détails, consultez Le Guide des Contribution Positive.

Présentation du projet de gestion d’impact (IMP)

Entre 2016 et 2018, l’IMP a réuni plus de 2000 praticiens de tout pays et de toutes les disciplines pour parvenir à un consensus sur la manière de parler, de gérer et de mesurer l’impact – en reliant les points de vue des entreprises, des organismes à but non lucratif, des investisseurs, des sciences sociales, des organismes octroyant des subventions, de l’évaluation, des politiques, des organismes de normalisation et de la comptabilité. Ce groupe diversifié est parvenu à une définition commune de ‘l’impact’ et s’est mis d’accord sur les types de données que l’on s’attend à trouver dans tout bon cadre ou rapport d’impact. [18]

Bibliographie

[18]
Impact Management Project [Online]. Available: https://www.theimpactprogramme.org.uk/portfolio/impact-management-project/. [Accessed: 01-Dec-2023]

  1. Les émissions de gaz à effet de serre constituent une exception notable: un kilogramme de CO2 dans une partie du monde peut être ‘annulé’ par un autre kilo de CO2 extrait de l’atmosphère ailleurs.↩︎